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La réunion de discussion, théâtre de la foi

Comme je le disais dans mon précédent billet, mardi, je me rendais avec femme et enfant à ma première réunion de discussion de province, dans la bonne ville picarde de Compiègne. Après quelques tours de ronds points nous voilà rendus chez nos hôtes où se sont réunis une douzaine de personnes, avec une forte majorité féminine. L'atmosphère est cordiale et détendue. Les participants sont aussi bien des novices que des vétérans, le texte d'étude à la main, très curieux et intrigués par notre arrivée remarquée. Un rapide tour de présentation permet de dégeler les rapports et à chacun de se sentir de nouveau à l'aise dans son espace habituel de représentation.
Car une réunion de discussion est aussi un espace de représentation. Les gens n'y sont pas comme chez eux ou comme au travail. L'omniprésence d'un discours sur la foi fait de citations et de témoignages personnels a une grande influence sur le comportement de chacun. Le maître mot est l'optimisme et son corollaire est l'attitude positive. Pas de contestation, peu de réserves énoncées ou articulées.
Pas une seule note discordante ou contradictoire. C'est souvent le cas lors de la première réunion de discussion à laquelle n'importe qui assiste. La polémique est considérée comme contraire à la démarche bouddhique et la contradiction est une marque de malveillance et d'orgueil. Cela donne généralement une atmosphère sereine et compatissante très semblable à des groupes de thérapie collective ou des sessions de formation en dynamique de groupe. La consensualité est de rigueur.

Comme de coutûme depuis quelques années, le sujet, en l'occurrence l'étude d'une phrase des écrits de Nichiren sur l'unité bouddhique (Itai Doshin), est éclipsé par une conversation à l'avenant sur toutes sortes de raisons de pratiquer notre bouddhisme. Il y a bien quelqu'un pour tenter de raccrocher les wagons mais il y en a toujours un autre pour dériver à nouveau et ponctuer la conversation d'une touche personnelle. Et dès que l'on se hasarde à la limite de la métaphysique, de la philosophie ou même de l'enseignement lui-même, l'auditoire se rétracte et tente par des biais divers de recoller à une réalité triviale, périphérique, strictement individuelle...
L'heure et demi de réunion passe assez vite car la conversation va bon train, comme toutes les premières séances, celles dites de premier contact. Et une fois encore c'est souvent le cas dans toutes les réunions de discussion que j'ai fréquentées, animées, organisées... On peut dire que cette atmosphère de premiers contacts est la marque de fabrique d'une réunion réussie... du moins dans Soka Gakkai.
Et après ?
Il n'y a pas d'après. C'est aussi l'étonnante réalité de la réunion de discussion. Ce n'est pas un lieu historique, pas le théâtre d'un feuilleton ou d'une histoire à épisodes. On a toujours l'impression qu'il s'agit de la première fois mais avec les mêmes protagonistes à chaque fois. Et il y a fort à parier que les points abordés à la première rencontre seront aussi ceux abordés dans les dix ou douze rencontres suivantes. C'est ce qui fait de la réunion de discussion, un théâtre, une scène sur laquelle les acteurs peaufinent le rôle qu'ils se construisent dans le monde de la foi.

Le théâtre de la foi est un concept connu des théologiens, des érudits de la religion, des spécialistes de la croyance. Il existe donc toutes sortes de théâtres de la foi. Dans l'Antiquité grecque comme dans les civilisations précolombiennes, les sociétés indiennes ou africaines, les cérémonies religieuses sans liturgie étaient aussi importantes, sinon plus déterminantes, que les cérémonies liturgiques (comme la messe). Aussi étonnant que cela paraisse, les réunions de discussion bouddhiques sont au nombre de ces théâtres de la foi.
Les participants à ce théâtre sont souvent conscients de la singularité de leur démarche religieuse mais ils (et elles) sont parfaitement inconscients du jeu et de l'artifice, c'est-à-dire du fait qu'ils et elles sont en représentation permanente et en constante raffinement de leurs propre personnage de croyant. Les antiques savaient combien la similitude entre l'acteur et le croyant était grande. De grands noms de la littérature et de la dramaturgie grecque et romaine ont traité du sujet de manière complète et souvent pénétrante.
Est-ce à dire que la réunion de discussion n'est encore qu'un exutoire de plus dans la vie des gens et que ce qui s'y déroule est complètement faux, artificiel, vide de sens ?
Pas du tout.

Si le bouddhisme n'a pas pour but premier la sculpture de soi ou la construction intérieure. Son objectif premier reste la réalisation persistante de l'éveil. C'est l'éveil, ou boddhéité, qui implique une construction personnelle, ou plutôt une reconstruction personnelle capable désormais de se libérer des anciens schémas de souffrance et faire feu de toute forme de réalité qui se présente. Cette capacité de librement recevoir et employer toute chose dans le but de s'éveiller davantage est l'un des traits caractéristiques du bouddhisme.
Le participant à une réunion de discussion est donc en quête de cette reconstruction nécessaire, qu'il ou elle appellera pour l'occasion : révolution humaine. Nécessaire pour son développement personnel et nécessaire pour s'éveiller davantage à la nature fondamentale de sa propre vie comme de celle des autres.
Eventuellement, le protagoniste, qu'il soit pratiquant assidu ou simple visiteur régulier, finira peut-être par se rendre compte de la nature théâtrale de la réunion et de sa propre participation. C'est ainsi que de simple mortel découvre sa nature de bouddha et parvient à considérer le monde comme une vaste pièce de théâtre dans lequel ce qui importe ne sont plus les rôles de chacun mais la manière d'en faire usage pour permettre à tous de réaliser l'éveil.

La réunion de discussion est un théâtre de la foi. Les gens que j'ai rencontré mardi ne dérogent pas à cette règle de la mise en scène et du jeu. Moi non plus d'ailleurs... Nous n'avons abordé aucunes des réflexions que je viens d'évoquer dans ce billet. Mais nous ne nous sommes pas ennuyés. Mais ce n'était que les premiers contacts...