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Les maîtresses soumises de la SGI

En décembre dernier, le magazine Daibyakurenge, support d'étude en langue japonaise de la Soka Gakkai, publiait un commentaire de la lettre de Nichiren, Le Sûtra de l'authentique reconnaissance* (WND 1, 929). On y découvre comment Nichiren considère le rôle central des femmes dans la propagation de l'esprit du sûtra du Lotus et de ses enseignements philosophiques. On y apprend également la valeur considérable et déterminante de la relation que chacun entretient avec ses parents. Publiée en février en langue anglaise, ce commentaire (SGI Newsletter n°8155) arrivera dans les publications de l'ACEP dans les prochains mois.

A la lecture de ce commentaire, le rôle des femmes au sein de la SGI revient en force comme le moteur du développement du mouvement Soka et de la philosophie de Nichiren. Le commentaire signé de Daisaku Ikeda fait une démonstration simple et sans équivoque que les femmes, à la fois en leur qualité d'individu mais aussi en tant que mères de famille et de pivot du foyer, sont à la pointe des progrès humains et sociaux. Les femmes sont en somme les piliers de la SGI.

Cette déclaration de principe articulée sur des extraits des lettres de Nichiren pose de nombreuses interrogations lorsque l'on prend le temps d'observer attentivement le fonctionnement de la SGI, et plus particulièrement les organisations locales, c'est-à-dire dans chaque pays où le mouvement Soka est légitime et représenté dans l'espace public.

La première constatation est l'absence flagrante des femmes des cercles décisionnaires dans la plupart de toutes ces instances ou institutions. les hommes, bien que largement minoritaires au sein du mouvement, et ce à l'échelle mondiale, détiennent la quasi-totalité des postes clés de décision et de commandement. On peut contester la nature des pouvoirs réels conférés aux dirigeants des organisations, arguant qu'il s'agit de fonctions honoraires, informelles ou encore d'ordre religieuses. Mais force est de constater que les institutions sont également des entités économiques dotées de moyens qui sont organisés, rationalisés et contrôlés par des hommes et non des femmes. Force est également de constater que l'écrasante majorité des vice-présidents japonais au sein des instances dirigeantes de SG au Japon est masculine et que la presque totalité des personnalité publiques agissantes et influentes au sein des organisations toutes nationalités confondues sont encore des hommes.

La deuxième observation repose sur le fait que le rôle des femmes, bien que mis en avant par ce commentaire (et bien d'autres écrits et discours par le passé), est très nettement circonscrit à une vision japonaise traditionnelle de la femme dans la société. Essentiellement attachée (pour ne pas dire enchaînée) au foyer et à la famille, le rôle de la femme ne dépasse que rarement la frontière des activités domestiques et surtout l'éducation et le soin apporté aux enfants. L'impact social au travers d'une carrière professionnelle, d'une activité politique ou sociale ou même au travers d'une contribution civile locale n'est jamais abordé sinon au travers des "activités" militantes bénévoles au service de l'organisation religieuse. En schématisant on pourrait dire que le portrait de la femme au sein de la SGI est essentiellement celui de la mère de famille impliquée dans des activités d'aumônerie et de catéchèse.

Enfin la troisième observation repose sur l'injonction paradoxale sur laquelle repose ce discours permanent qui flatte les femmes d'un côté et leur interdit une réelle prise de contrôle des opérations sous prétexte de compassion. En effet, le commentaire cité en référence pose clairement l'opposition entre la compassion et l'intérêt personnel, associé aux calculs et aux rivalités. La compassion apparaît alors comme une forme d'abnégation absolue qui impose l'endurance, la tolérance totale et la persistance comme seul moyen d'action pour faire changer les choses, pour sortir de la souffrance. Cet air a quelque chose de familier et la musique nous est jouée depuis l'avènement de l'ère chrétienne. Bref, la pieuse mère de famille sera également silencieuse, sublime figure de la mater dolorosa si chère à nos sociétés catholiques romaines.

A la lumière de ce commentaire des lettres de Nichiren, on comprend une fois encore la difficulté que les femmes rencontrent à sortir des schémas patriarcaux, insidieux, subtils et omniprésents qui truffent les exégèses et les interprétations, voire les traductions. Il n'est pas ici question de dire que Nichiren, personnalité du 13e siècle japonais est un affreux macho. Il est question ici de comprendre que les hommes de notre siècle et qui organisent la pratique du bouddhisme de Nichiren sont prisonniers d'une phallocratie à peine masquée.

Ce qui m'interroge encore davantage est de comprendre pourquoi les dirigeants de l'organisation Soka continuent de prendre leur rôle dirigeant au sérieux et de perpétuer une tradition patriarcale qui n'a plus lieu d'être. C'est du moins, à mots couverts l'invitation que leur fait le maître de l'organisation Soka, ou du moins son président honoraire. A défaut de comprendre au bout de dizaines d'années de répétition, il aurait suffit de lire pour permettre l'émergence d'un nouveau dispositif laïque, d'un nouvel esprit plus proche de la parité proposée par les enseignements du sûtra du Lotus, pourtant vieux de deux millénaires.

Mais peut-être le problème ne se situe pas dans le comportement des mâles en mal d'autorité. Peut-être faudrait-il se tourner vers l'autre sexe et se demander d'où vient cette incompréhensible passivité et son incroyable soumission à la plus vieille dictature de l'histoire...


* J'utilise reconnaissance pour traduire requital qui a trois sens en anglais : 1. Juste rétribution punitive, 2. Rendre une faveur à quelqu'un, 3. Répondre à (en amour ou en affection).