18:44

Choisir son camp

A la faveur de l'apparition d'une nouvelle personnalité dans le champs du bouddhisme Soka, je reprend la plume pour sortir de mon silence, à la fois voulu et conjoncturel. Un crise personnelle m'a littéralement assommé et l'absence totale de contacts avec mon éco-système bouddhique a effectivement fait le vide autour de moi. Heureusement, mes amis sont nombreux, présent(e)s sur le Web, actifs dans leurs encouragements et dans leurs capacités de bienveillance.

Sur les conseils d'une amie, je suis allé à la recherche d'un nouveau venu, le Pélerin Cosmique. Le terme est audacieux, le nom drôle et plein de références à une littérature aérienne et des bandes dessinées de Jodorowsky. Plutôt ouvert, je me suis fendu de lire un billet long, trop long même, faisant l'état des lieux succinct de l'actuelle organisation ACSBN, ex-SGF, ex-Nichiren Shoshu Française. De mon point de vue, rien de nouveau sous le soleil, sinon que c'est bien écrit, réfléchi, corrigé, remarquablement consensuel sans pour autant manquer d'une certaine radicalité nécessaire à ce genre de littérature.

Mais au bout de cette longue lecture, et du mystère qui entoure ce nouveau personnage, la conclusion m'apparaît relativement fade, faible, sans intérêt. Aucune issue, sinon l'individualisme anarchique, déconnecté de la communauté, marginalisé de fait. Aucune alternative aux comportements pervers et déviants de notre organisation. Aucune solution, ni même une ébauche de solution en dépit d'un discours élaboré, articulé, méticuleux.

Je me demande donc à quoi ça sert ?

Pourquoi, comme Omar Guillermo Saaverda, il y a plus d'un an, et bien d'autres avant lui s'exprimer de façon publique pour ne dire finalement que ce que tout le monde sait et accepte...? Ou plutôt pourquoi continuer à nourrir l'ogre ?

L'organisation administrative du bouddhisme Soka en France est un dispositif caduque, défaillant du point de vue humain, destiné à gérer du patrimoine immobilier et des rentrées d'argent concédées librement et bénévolement. Comment cela serait-il compatible avec la pratique dynamique d'une spiritualité de la libération, de l'autonomie et de la responsabilité ? Le pari est impossible, et Soka Gakkai en France rencontre les mêmes obstacles qu'ailleurs, ceux rencontrés par les autres églises avec elle. L'institutionnalisation écrase la spontanéité et par extension les possibilités d'évolution du mouvement tant du point de vue intellectuel qu'humain.

Ce qui nous intéresse dès lors, c'est de savoir s'il est possible de penser, de concevoir, de déployer et de faire émerger des modèles alternatifs. Non de répéter ce qui est dit ouvertement ou à mots couverts par une proportion très importante de la population de vétérans du mouvement Soka en France.

Donc je reste perplexe sur l'intention de Pélerin Cosmique. Car ce que je lis finalement est une sorte d'infantilisation de l'ensemble des membres de ce mouvement et tout particulièrement de ses responsables, pour les ramener à l'état de malades ou de victimes de troubles mentaux. Une telle démarche est stérile et fausse. Le mouvement Soka ne produit pas que de la névrose, le pélerin lui-même en est un exemple flagrant. Et il produit nombre de voix dissidentes qui se font entendre sur des médiums variés. Comme toutes les organisations, celle-ci contient ses propres agents perturbateurs qui connaissent la pratique du bouddhisme au quotidien au travers de contacts répétés avec le réel du dehors et non les activismes du dedans.

Bref la pluralité et la multiplicité semble absente du discours de Pélerin Cosmique qui semble capable intellectuellement de capturer la totalité du phénomène dans une nasse rhétorique mais qui occulte par là même la mosaïque que représente un tel mouvement.

Il y a beaucoup de choses à prendre dans ce premier billet, mais il n'y a pas beaucoup de pistes pour l'avenir, ni d'idées contradictoires avec les vicissitudes du réel présent. Je gage qu'il y a aura une suite et que je serai probablement un interlocuteur attentif.

17:15

Cent jours

Quand j'ai commencé à pratiquer le bouddhisme de Nichiren, nous avions l'habitude de recommander la pratique assidue de cent jours pour se faire une idée de la preuve concrète, tangible et matérielle qu'elle pouvait produire. Cent jours, soit un peu plus de trois mois, c'était le temps minimum pour savoir si cette pratique convenait à celui ou à celle qui voulait l'expérimenter et pour obtenir des résultats dans sa vie. Cent jours, c'était le délai de réflexion avant de demander à recevoir l'objet de culte, le Gohonzon, et d'adhérer à la Soka Gakkai (car à l'époque, on adhérait).

Les cent jours n'étaient pas une période de retraite, dans la solitude et l'austérité. Ils n'étaient pas non plus un entraînement intensif, normatif, d'intégration. Pendant cent jours, un autre pratiquant allait chez le novice pour lui apprendre à réciter Gongyo et à réciter Daimoku avec lui ou elle. Gongyo comprenait un chapitre et demi du Sûtra du Lotus que l'on récitait 5 fois le matin et 3 fois le soir. La lecture complète du matin prenait, dans les débuts, pas moins de 40 minutes et la pratique totale près d'une heure. Il fallait donc être motivé pour ne pas être rebuté d'emblée par la longueur et l'aspect incompréhensible du Gongyo que l'on apprenait en phonétique faute de comprendre le japonais vernaculaire.

En cent jours, le/la novice assistait à 7 réunions de discussion, à raison de deux par mois. Il/elle pouvait avoir la possibilité d'assister à des réunions de groupe pour connaître les gens de son quartier et de son département. En général, en cent jours, cela ne dépassait pas les dix réunions d'environ une heure et demi chacune. Tout cela se déroulait aux domiciles de ceux et celles qui voulaient bien accueillir des réunions de discussion et dans une atmosphère plutôt détendue et informelle. Peu de japonais étaient présents, et les novices n'étaient pas des curiosités. Les personnes nouvelles, intéressées par cette philosophie bouddhiste qui se pratiquait au quotidien sans moines et sans fanfreluches attirait naturellement les gens, souvent en recherche d'une spiritualité ou d'une éthique pouvant supplanter les vieilles religions et les idéologies moribondes.

Cent jours, c'était le bon temps

Et si au bout de cent jours, rares étaient les novices qui n'avaient pas d'expérience à raconter et une envie irrépressible de refaire le monde, de refaire leurs mondes. Il arrivait qu'au bout de cent jours, des novices reprennent le chemin de l'Eglise, ou bien qu'ils/elles retournent à leurs premiers amours spirituels ou éthiques avec une énergie renouvelée. Le bouddhisme avait fait son effet, revitalisant. Encore plus rare étaient ceux ou celles qui quittaient les réunions avec le sentiment d'avoir été au contact d'une secte.

Cent jours, c'était le bon temps.

Aujourd'hui, il faut protéger et respecter. Alors le bouddhisme est souvent absent des échanges même si on continue à l'appeler bouddhisme. Les croyances en Dieu, en les anges, en l'astrologie, dans les cristaux ou les énergies, dans le pouvoir des fleurs ou de l'acuponcture, des massages et des flux, des réseaux de résonances et d'influences mystiques ont pris le pas sur l'enseignement basique du bouddhisme le plus simple. Face à l'abondance et la foison, on brandit le président Ikeda comme d'autres ont brandit le crucifix sanglant ou les images pieuses. Face au grand bazar de la spiritualité de comptoir, on oppose la pureté de l'enseignement de Nichiren conservé exclusivement par nous... et pas les autres.

Aujourd'hui, il faut tolérer mais rester ferme. Alors les religions moribondes d'hier sont ramenées à la vie pour faire causes communes... mais pas les autres Nouveaux Mouvements Religieux. Pas question d'être assimilés aux Témoins de Jéhova, ni à l'Eglise de la Scientologie, ni même aux Rosécruciens ou aux Evangélistes. Et de menacer de procès ceux qui oseraient nous mettre dans le même sac.

Hier, nous étions mis à l'index, traînés dans la boue et pourtant notre mouvement se développait et nous avions des réunions en expansion. Les associations étaient un joyeux bordel et personne ne savait vraiment comment gérer tout ça. Alors on improvisait, on s'improvisait et on faisait de notre mieux.

Aujourd'hui, nous n'avons jamais été aussi protégés des institutions et des médias qui se désintéressent de nous. Et jamais nous n'avons été aussi susceptibles et rigides. Les réunions sont faméliques, difficiles et les rares qui fonctionnent encore selon le mode ancien prospèrent. Le reste vieillit et continue de prétendre que tout va bien dans le meilleur des mondes.

Peut-être devrions-nous donner cent jours à ceux qui nous dirigent pour faire leurs preuves et savoir si la direction de ce mouvement, qui est le nôtre, est une expérience concluante ou pas...