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Cent jours

Quand j'ai commencé à pratiquer le bouddhisme de Nichiren, nous avions l'habitude de recommander la pratique assidue de cent jours pour se faire une idée de la preuve concrète, tangible et matérielle qu'elle pouvait produire. Cent jours, soit un peu plus de trois mois, c'était le temps minimum pour savoir si cette pratique convenait à celui ou à celle qui voulait l'expérimenter et pour obtenir des résultats dans sa vie. Cent jours, c'était le délai de réflexion avant de demander à recevoir l'objet de culte, le Gohonzon, et d'adhérer à la Soka Gakkai (car à l'époque, on adhérait).

Les cent jours n'étaient pas une période de retraite, dans la solitude et l'austérité. Ils n'étaient pas non plus un entraînement intensif, normatif, d'intégration. Pendant cent jours, un autre pratiquant allait chez le novice pour lui apprendre à réciter Gongyo et à réciter Daimoku avec lui ou elle. Gongyo comprenait un chapitre et demi du Sûtra du Lotus que l'on récitait 5 fois le matin et 3 fois le soir. La lecture complète du matin prenait, dans les débuts, pas moins de 40 minutes et la pratique totale près d'une heure. Il fallait donc être motivé pour ne pas être rebuté d'emblée par la longueur et l'aspect incompréhensible du Gongyo que l'on apprenait en phonétique faute de comprendre le japonais vernaculaire.

En cent jours, le/la novice assistait à 7 réunions de discussion, à raison de deux par mois. Il/elle pouvait avoir la possibilité d'assister à des réunions de groupe pour connaître les gens de son quartier et de son département. En général, en cent jours, cela ne dépassait pas les dix réunions d'environ une heure et demi chacune. Tout cela se déroulait aux domiciles de ceux et celles qui voulaient bien accueillir des réunions de discussion et dans une atmosphère plutôt détendue et informelle. Peu de japonais étaient présents, et les novices n'étaient pas des curiosités. Les personnes nouvelles, intéressées par cette philosophie bouddhiste qui se pratiquait au quotidien sans moines et sans fanfreluches attirait naturellement les gens, souvent en recherche d'une spiritualité ou d'une éthique pouvant supplanter les vieilles religions et les idéologies moribondes.

Cent jours, c'était le bon temps

Et si au bout de cent jours, rares étaient les novices qui n'avaient pas d'expérience à raconter et une envie irrépressible de refaire le monde, de refaire leurs mondes. Il arrivait qu'au bout de cent jours, des novices reprennent le chemin de l'Eglise, ou bien qu'ils/elles retournent à leurs premiers amours spirituels ou éthiques avec une énergie renouvelée. Le bouddhisme avait fait son effet, revitalisant. Encore plus rare étaient ceux ou celles qui quittaient les réunions avec le sentiment d'avoir été au contact d'une secte.

Cent jours, c'était le bon temps.

Aujourd'hui, il faut protéger et respecter. Alors le bouddhisme est souvent absent des échanges même si on continue à l'appeler bouddhisme. Les croyances en Dieu, en les anges, en l'astrologie, dans les cristaux ou les énergies, dans le pouvoir des fleurs ou de l'acuponcture, des massages et des flux, des réseaux de résonances et d'influences mystiques ont pris le pas sur l'enseignement basique du bouddhisme le plus simple. Face à l'abondance et la foison, on brandit le président Ikeda comme d'autres ont brandit le crucifix sanglant ou les images pieuses. Face au grand bazar de la spiritualité de comptoir, on oppose la pureté de l'enseignement de Nichiren conservé exclusivement par nous... et pas les autres.

Aujourd'hui, il faut tolérer mais rester ferme. Alors les religions moribondes d'hier sont ramenées à la vie pour faire causes communes... mais pas les autres Nouveaux Mouvements Religieux. Pas question d'être assimilés aux Témoins de Jéhova, ni à l'Eglise de la Scientologie, ni même aux Rosécruciens ou aux Evangélistes. Et de menacer de procès ceux qui oseraient nous mettre dans le même sac.

Hier, nous étions mis à l'index, traînés dans la boue et pourtant notre mouvement se développait et nous avions des réunions en expansion. Les associations étaient un joyeux bordel et personne ne savait vraiment comment gérer tout ça. Alors on improvisait, on s'improvisait et on faisait de notre mieux.

Aujourd'hui, nous n'avons jamais été aussi protégés des institutions et des médias qui se désintéressent de nous. Et jamais nous n'avons été aussi susceptibles et rigides. Les réunions sont faméliques, difficiles et les rares qui fonctionnent encore selon le mode ancien prospèrent. Le reste vieillit et continue de prétendre que tout va bien dans le meilleur des mondes.

Peut-être devrions-nous donner cent jours à ceux qui nous dirigent pour faire leurs preuves et savoir si la direction de ce mouvement, qui est le nôtre, est une expérience concluante ou pas...